Histoire de l’islam en Afrique noire

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L’Afrique noire, c’est près de 300 millions de musulmans, répartis du désert du Sahara aux forêts équatoriales du centre en passant par de multiples enclaves ici et là, de Madagascar à l’Afrique du Sud. Ayant connue la religion musulmane dès les premières migrations de certains des plus valeureux compagnons du Prophète de l’islam, paix et salut soient sur lui, en Abyssinie, il y a plus de 14 siècles, on ne fait pourtant peu état de la richesse de son patrimoine islamique.

Islamisation(s)

Si l’Afrique connut ses premiers musulmans, et non des moindres, avant même la fin de la Révélation, il faut attendre 640 et l’entrée de Amr ibn al As avec 4000 de ses soldats pour voir son islamisation démarrer. Mais les « conquérants » musulmans ne chercheront pas encore à traverser le désert saharien, préférant tenter d’occuper l’ensemble de l’Afrique (blanche) du Nord et surtout l’Europe, via la Péninsule ibérique.

En moins de 70 ans, l’ensemble de l’Afrique méditerranéenne tombera sous domination musulmane, et ce n’est qu’en quelques générations, que la grande majorité des Berbères et Coptes se convertiront, sans que les autorités arabes n’usent de forces ou de menaces contre les populations. Ibn Khaldoun notera néanmoins bien plus tard, que les tribus berbères les plus à l’ouest (actuel Maroc) apostasièrent une bonne dizaine de fois avant de définitivement d‘embrasser le dogme unitaire dans son entièreté…

Ce sont d’ailleurs ces mêmes tribus, les plus hostiles à la domination arabe, qui ici et là embrassèrent le plus souvent la foi des kharijites, fuyant le Moyen Orient et s’installant progressivement au Maghreb à partir de 714, trois ans après les débuts de la conquête de l’Espagne. Des kharijites, qui les premiers, rentreront de manière régulière en contact avec les Touaregs et tribus plus au sud, noirs et animistes. Aussi appelés ibadites, ils convertiront d’abord leurs partenaires subsahariens, puis les princes et les chefs lors d’échanges commerciaux s’intensifiant entre le Nord et l’ensemble des territoires plus au Sud alors appelé Soudan.

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Une première dynastie, les Dya’ogo, peuplant le Takrour, actuel Sénégal, embrasse l’islam vers 850 ap J-C. War-Jabi, devient ainsi le premier dirigeant noir africain connu à établir la chariah en son territoire, les régions avoisinantes restant largement animistes. Car ce n’est qu’à l’entrée du premier millénaire, soit 3 siècles après l’islamisation de toute l’Afrique du Nord, que les Almoravides, partent à la conquête du premier grand empire noir connu, le Ghana, en place déjà depuis 10 siècles. Sa capitale est alors un centre commercial fort, et sa population composée de Berbères, Arabes et surtout de noirs comprend déjà de nombreux musulmans. Un empire qu’ils occuperont après 12 années de siège, grâce à une armée composée de près de 30 000 hommes. Appuyés par certains États noirs déjà islamisés comme le Tekrour, les Almoravides s’étendent aussi rapidement (de l’Espagne au Sénégal, de la Mauritanie à la Lybie) qu’ils commencent à chuter, peu après 1087, quand leur leader meurt au combat.

L’historien et géographe Al Bakri, en 1068, décrit alors Kumbi Saleh, la capitale, dans son célèbre ouvrage Kitab al-Masalik wa al-Mamalik, comme une ville séparée en deux. L’une des parties, animiste, construite en terre, côtoie ainsi la seconde, musulmane, construite en pierre, à la manière des nord-africains, pourvue déjà de 12 mosquées et de quantité de juristes et savants enseignant à travers le madhab maliki les rudiments de l’islam aux populations. Restant essentiellement des marchands, ces musulmans réorganiseront complètement le commerce en créant de véritables routes commerciales descendant jusqu’au Sénégal et aux forêts centrales plus à l’Est. Un peu partout, où ils se fixent, ces marchands créeront de véritables noyaux islamisés.

Après la chute des Almoradives, les souverains successifs islamiseront à leur tour la région et, anecdote intéressante, ne confieront les postes de ministres et la trésorerie plus qu’à des sujets ayant embrassé la religion des conquérants. Mais le Ghana ne survit pas face à la montée en puissance de ses voisins, eux aussi devenus musulmans, et c’est ainsi que sur ses ruines finit par se constituer l’Empire du Mali.

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En parallèle, l’Empire du Songhay voit son dirigeant, Za Kassoy, accepter l’islam en 1009. L’islamisation de sa capitale, Gao, s’était déjà faite très tôt, grâce à ses contacts avec l’Egypte, la Libye et l’Ifriqiya (Tunisie). Un islam propagé par les commerçants mais aussi par des savants venus du Nord s’installant en ces territoires nouveaux. Peu après, c’est au tour de Umme Jilmi, chef du territoire Kanem-Bornu (actuel Tchad) d’embrasser l’islam à la fin du XIème siècle. Le territoire s’islamisera tel qu’il accueillera même des réfugiés ommeyades fuyant les violences abbassides à Baghdad.

La majorité des tribus de la Mauritanie au Darfour, embrassent ainsi successivement l’islam, religion des riches commerçants, savants et conquérants militaires. Gagnant d’abord les cours royales, les lettrés et fonctionnaires suivent peu à peu. A la structure tribale traditionnelle se superpose alors une structure étatique de plus en plus fédératrice et développée. L’universalisme de l’islam tend désormais à rassembler des populations jusque là divisées par des cultes territorialement ancrés. Les structures administratives se modernisent au gré des islamisations, et de l’investiture de lettrés savants aux postes influents.

Le Mali, devenant au XIIème siècle la place forte de l’Afrique sub-saharienne, voit ses villes devenir de véritables centres islamiques, où bibliothèques et universités se multiplient. Se construisant d’abord sous le règne de Sundiata, en 1230, dont l’islamosité fut en son temps très discutée dans les milieux savants, l’Empire du Mali devient connu même des Européens à partir du règne de Mansa Moussa en 1312. Son frère Mansa Soulyman reprenant le pouvoir en 1352 s’en fera le digne continuateur, faisant ainsi de cette époque l’âge d’or du Mali. Les leaders des tribus haoussa et fulani adoptent également l’islam et de leur rang commencent à sortir des savants de renom revenus des universités naissantes de Tombouctou et ses environs. Leur capitale, Kano, dans l’actuel Nigéria, devient elle aussi une place forte de l’islam subsaharien. Mais attaqué de toutes parts par les Mossi et les Bambara que l’islam n’avait pas atteint, le Mali s’effondre peu à peu, laissant la place à l’Empire des Songhaï, cité plus haut, qu’il avait soumis au XIIIème siècle.

Cet Empire atteint son apogée probablement à la venue du roi Askia Mohammed Abu Bakr en 1493, au lendemain de l’éviction des musulmans d’Espagne et de l’arrivée de Christophe Colomb en Amérique centrale. Faisant lui aussi venir savants et ouvrages du Maghreb, d’Egypte comme du Hidjaz, l’Empire Songhaï devient le nouveau centre islamique de l’Afrique noire en cette fin de XVème siècle. Une victoire pour les musulmans, qui subirent le despotisme de son prédécesseur Sonni Ali, plus païen que musulman, et régulièrement disputé par les autorités religieuses en place à Tombouctou et autres.

Mais si les leaders et personnages influents sont désormais, pour la plupart, acquis à la cause musulmane, l’islam n’est pas encore, au tournant du XVème siècle la religion de la majorité des populations noires, paysannes et rurales, encore très souvent plongées dans le paganisme ou alliant foi musulmane et rites païens. Alvise Cadamosto, voyageur portugais qui sillonna la région de l’actuel Sénégal entre 1455 et 1457, faisait effectivement mention de la présence de lettrés arabes dans la cour du roi, enseignant l’islam aux princes et aux membres de la cour, mais se rendit bien compte que l’islam n’avait encore de réceptacle dans les couches les moins favorisées.

C’est avec le développement des confréries soufie que l’islamisation de l’Ouest africain connaîtra sa véritable ampleur et attirera les « gens de la masse ». C’est ainsi à partir du XVIIe siècle que l’islam quitte les centres urbains pour devenir religion partagée par la majorité des peuplades noires. Le facteur déterminant à l’œuvre, ne sera donc ni les conquêtes militaires musulmane, ni l’œuvre des pouvoirs islamisés en place, mais la traite négrière occidentale, et la vague colonialiste qui s’en suivit.

Refondant complètement les sociétés africaines d’alors, elle favorise par contre coup une forme de résistance qui se concrétise par le biais de l’adhésion au dogme musulman. Contre assimilationiste, théorisant le combat au nom du divin, renvoyant le christianisme des missionnaires au rang de superstition, de nombreux soulèvements anti-coloniaux seront alors le fait de confréries soufies un peu partout en Afrique de l’Ouest. Rappelons par exemple la « guerre des marabouts », lancée en 1673 par l’imam mauritanien Nasir ad din contre les collaborateurs locaux jugés impies. Une colonisation qui aurait favorisé l’islamisation des peuples refusant la domination européenne ? Voilà question qui a de quoi susciter débats. Certains sud-africains pourraient y répondre à l’affirmatif. Sans les colons hollandais, ramenant avec eux des esclaves malais musulmans, l’islam n’aurait que très tardivement atteint la région du Cap

Figures et prestige

Longtemps peinte comme une terre faite de tribus primitives et scientifiquement « en retard », nous sommes ainsi loin d’imaginer à quel point l’Afrique sub-saharienne fut prospère et riche de savants et dirigeants puissants avant l’arrivée des colons européens au XVIème siècle. Le géographe al Farazi décrivait déjà dans les années 900 l’empire du Ghana comme le « pays de l’or ». Economiquement stable, les musulmans d’Afrique du Nord multiplieront les routes commerciales avec les différentes villes que compte le Soudan.

L’islam gagnant la haute société subsaharienne, de tout le Soudan Occidental commence alors à sortir des africains venant étudier en Egypte, nécessitant même la création d’une section spéciale à l’université d’Al Azhar au milieu du XIIIème siècle. Supervisée par le Faqih Ibn Rashiq, il sera chargé d’enseigner le fiqh maliki aux étudiants soudanais. Parmi les savants sub-sahariens partis étudier en Egypte, mais aussi à Fès, Tlemcen, Kairouan, ou en Arabie, on peut citer le Cadi Katib Moussa, officiant en tant qu’imam de la grande mosquée de Tombouctou pendant 40 années. Il y eut aussi Ali ibn Yahya As-sanhaji Al-Massufi, lui aussi Cadi de Tombouctou, Ahmed ibn Omar Mohamed Aqit, ou encore Makhlouf Ben Ali Ben Saleh al-Balbali qui à travers ses voyages répandit son savoir dans toute l’Afrique de l’Ouest.

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« L’islam noir » est alors longtemps celui des riches commerçants, rois et savants. C’est aussi comme cela que le perçoivent les Arabes lorsqu’ils les reçoivent progressivement au cœur de la Mosquée Sacrée. De richissimes personnalités du Soudan, issus des différents Etats s’islamisant, parviennent de plus en plus souvent en Péninsule arabique, réclamant quasi-systématiquement savants et science en vue d’en faire profiter leurs sujets restés au pays.

Le plus fameux de ces pèlerinages restera ainsi celui du sultan Mansa Moussa du Mali entamé en 1324. 60 000 hommes, 3200 km parcourus en une année. 80 chameaux transportaient chacun entre 25 et 130 kg de poussière d’or, qu’il distribuera tout au long de son voyage aux populations rencontrées. Une distribution telle qu’il fera à lui seul chuter le cour de l’or annonçant une crise économique de près de 10 ans. Il a été rapporté qu’il ordonna la construction d’une mosquée chaque vendredi où ils purent s’arrêter. Au retour de La Mecque, il revint au Mali avec tout un contingent de savants et architectes (fabricants ainsi les premières mosquées à l’aide de la technique de la brique brulée) mais aussi d’ouvrages islamiques en tous genres comme dans les domaines de l’arabe et des sciences diverses.

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D’Al-Umari à Abu-sa’id Uthman ad-Dukkali, d’Ibn Khaldoun à Ibn Battuta, nombreux seront les savants musulmans qui retranscriront le faste et la piété de ce dirigeant hors du commun. Ayant englobé en son empire l’ensemble des petits émirats et territoires anciennement ghanéens, Mansa Moussa, grâce à ses immenses ressources en or, serait même selon les historiens modernes l’homme le plus riche que la Terre aurait connu. Tombouctou, Gao, Djenné, Walata et Awdaghost deviennent célèbres en tant que centres culturels, et des étudiants de tout le monde musulman s’y dirigeaient. L’arabe devient à ce moment la langue de la science, de la culture et de l’écriture en Afrique Occidentale.

Plus tard, dans l’Empire Songhaï (XVe-XVIᵉ siècles), les savants de l’islam deviennent de véritables piliers du régime, participant de près à la politique du gouvernement. C’est l’époque de l’empereur Askia Mohammed, l’islam est religion du droit, de la justice et de l’élévation scientifique. Les savants s’activent à faire de la juridiction islamique la norme, alors que les pratiques animistes n’ont pas encore disparu. Faisant venir des savants du Maroc comme du Hidjaz, il poursuit le développement de l’école maliki entamé par ses prédécesseurs. Lors de son pèlerinage, il fait acheté à La Mecque et à Médine des jardins et des maisons pour ensuite les conserver en vue d’y accueillir des savants et étudiants originaires du Soudan Occidental ainsi que des pauvres. Durant les 33 ans de son règne, il ouvre des bibliothèques publiques et fait engager des écrivains qui lui recopiaient des livres ensuite offerts aux savants.

Les savants marocains seront très nombreux à s’y rendre afin de diffuser l’islam aux désireux. On peut citer parmi eux Mohamed Ibn Abdelkerim al Maghili, Saleh ibn Mahamoud Andy Omar, ou encore Abou al Kassim al Tuati. D’autres ayant fuit les persécutions du païen Sonni Ali auparavant au pouvoir furent rappelés à Tombouctou, indemnisés et vus accordés un statut tout particulier : leurs biens et leurs personnes ainsi que leurs progénitures devinrent inviolables à vie. L’université de Sankoré comme la Grande Mosquée de Sidi Yahia firent de Tombouctou un centre islamique des plus enviés. La capitale de l’Empire devenait le marché local de livres et manuscrits de tout le monde islamique que l’on recopiait et revendait et des bibliothèques privées étaient régulièrement crées par les savants musulmans.

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Ibn Battuta avait visité le Mali à l’époque de Mansa Souleymane, en 1352, et mentionna dans ses écrits le degré de science, de justice et de sécurité que connut la région en ce temps. Etonné par l’ardeur des soudanais dans l’apprentissage de leur religion, il fit aussi mention de toutes ces mosquées qu’il voyait pleines d’hommes vêtus de blanc aux heures de prière et de la confiance que l’on pouvait accorder aux locaux, respectant les droits même des défunts étrangers, confiant leurs biens à qui de droit. Il raconte aussi avoir vu de ses propres yeux des enfants enchainés chez eux jusqu’à en apprendre le Coran par cœur.

Quelques années plus tôt, Ibn Fadl Allah Al Umari avait lui aussi fait mention de la dévotion et de la piété qui caractérisaient Mansa Moussa et ses sujets lors de son passage par l’Egypte en 1324 pour le pèlerinage. Ibn Fadl avait rapporté d’Ibn Amir Hadjib que Moussa et ses compagnons, de belle allure, étaient constamment en train de prier et de faire l’aumône.

Pour ce qui est de l’Etat islamique du Songhay, Al- Hassan ibn Muhammad al- Zayyati Al- Wazzam rapporta dans ses écrits ces manuscrits et livres vendus à des prix exorbitants et inimaginables, car considérés comme une marchandise à la valeur la plus haute. Le Cadi Mahmud Kâti disait d’Askia Mohamed : « Il était l’unique roi qui a tant aimé les savants et les étudiants, le plus généreux et le plus pieux. Il était à la fois intelligent et malin. En ce qui concerne les savants, il fut modeste et très généreux envers eux. Pour les autres citoyens musulmans, il mettait toujours en avant leurs intérêts, tout en les aidant à accomplir convenablement leurs devoirs religieux. Il avait éradiqué toute innovation en matière de religion, toute injustice, et toute pratique non conforme à l’islam, en y instaurant le vrai islam. Il avait nommé des imams et des cadis dans chaque ville qui en avait besoin, notamment à Tombouctou, à Djenné et toute les autres villes « du Kanta à Sibiridougou ». (source)

Askia Mohammed entretint de vives entrevues avec le cheikh Muhammad al Maghilli, Berbère de Tlemcen, qui répondit avec précision à nombre de ses questions tant sur le dogme que sur des points secondaires. Des points que reprit d’ailleurs plus tard l’un des plus grands combattants au service de l’islam que l’Afrique ait connu : Ousman Dan Fodlo.

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Né en 1754 dans le royaume haoussa (actuel Nigéria), Ousman Dan Fodio, passe en quelques mois, à l’âge de 50 ans, de prêcheur local à leader de l’Empire Sokoto qu’il fonde en écrasant le pouvoir haoussa qui tenta de la faire un peu plus tôt assassiner. Envoyant 12 de ses plus fidèles partisans aux frontières, il conquit rapidement un vaste territoire qui ira jusqu’au Cameroun. Réhabilitant la chariah, il établit 5 principes de gouvernance clairs et définis : le pouvoir ne doit pas être donné à celui qui le cherche, la nécessité de consultation, l’abstention de la violence, la justice et la bienfaisance. Connu pour son intransigeance religieuse, il avait au préalable tenté de former une société sur le modèle islamique dans le village qui l’a vu évoluer, avant de s’attirer la suspicion des autorités. Au pouvoir pendant 10 ans, il remet le titre de sultan à son fils Mohammed Bello avant de s’en remettre à l’écriture d’ouvrages axés principalement sur le suivi de la sunna et le délaissement de l’innovation religieuse. Sa démarche suscita des vocations dans tous les pays limitrophes. Pèle mêle, différents jihad seront lancés tout au long du XIXème siècle aboutissant, avant que les britanniques et français s’accaparent l’ensemble des territoires, à de véritables petits sultanats et empires islamiques.

Ibrahim Souri, Samouri Toura, Amadi Isata, Omar Ponda ou Malick Sy sont d’autant d’autres grands personnages (de par leur renommée et influence, leurs possibles déviances dogmatiques mises de côté) qui permirent, à des époques diverses, à l’islam de briller et/ou gagner les foules ou simplement contrecarrer quelque peu les plans du colon européen…

 

Pluralismes et spécificités

tumblr_nvd328tmub1sdciydo1_1280L’islamisation de l’Afrique noire s’est faite ainsi très lente et surtout de manière très différente selon les époques.

D’abord religion des commerçants, elle suscite l’intérêt des clients ou vendeurs subsahariens faisant fortune avec les Berbères et Arabes du Nord. A l’inverse de ce qui put se produire lors de la Révélation coranique quelques générations plus tôt en Arabie, l’islam attire en Afrique les couches les plus aisées bien avant d’intéresser les plus pauvres. Ne rencontrant que peu l’hostilité des autorités, l’islam devient même assez rapidement religion des souverains et des notables africains, limitant ainsi les conflits possibles.

Si les Almoravides tenteront avec succès de conquérir les territoires du Soudan occidental, encore faiblement islamisés, la majeur partie des conversions à l’islam ne se feront alors en Afrique que très rarement sous le coup des conquêtes. Musulmanes en tout cas. Car si l’objectif des Européens ne fut surtout pas de contribuer à faire de l’islam la religion des colonisés, on voit que c’est à partir du XVIème siècle que les milieux ruraux rentreront dans l’islam en masse via le confrérisme soufique, souvent par opposition au missionarisme et colonialisme européen. Un confrérisme encore extrêmement prégnant aujourd’hui, où pour bon nombre d’africains, le simple fait de ne pas s’affilier à une confrérie ou une autre revient à possiblement entrer dans une forme d’extrémisme de type salafiste ou jihadiste.

Cette résistance faite au colonialisme par le biais du soufisme aura parfois ses moments de gloire, au travers des différentes révoltes armées ayant pris place en territoire conquis jusqu’au XXème siècle, comme ses moments de faiblesse, car si bercées par un renouveau spirituel fort, certaines confréries, portées par un pacifisme laxiste, opteront ouvertement pour la collaboration en bonne et due forme. Il n’y a qu’à lire les rapports de l’armée française sur le sujet. Le Lieutenant Clozel écrira par exemple dans l’un de ses rapports : “ Fort heureusement l’islam de notre Afrique occidentale garde encore un caractère un peu spécial que nous avons le plus grand intérêt à entretenir. Nos musulmans n’ont pas admis le Koran absolu. Quelle que soit leur dévotion, ils ont voulu conserver leurs coutumes ancestrales (…). En sorte que l’islam soudanais apparaît comme profondément entaché de fétichisme. C’est une religion mixte issue de deux croyances primitivement diverses qui, dès leur prise de contact, ont cessé l’un et l’autre d’évoluer dans leur forme originelle “. (source)

Alors que les liens unissant le Maghreb et l’Afrique musulmane noire étaient très forts durant les 10 siècles précédant la colonisation occidentale, les Français feront ainsi tout pour empêcher ensuite toute influence maghrébine, un brin moins confrériste, dans la gestion du culte musulman subsaharien. Les confréries quelque peu hétérodoxes semblent alors être un moindre mal. On préfèrera même à l’islam orthodoxe, le mouvement de la négritude, dans lequel bon nombre d’intellectuels africains, par réaction à l’influence blanche, s’engouffreront en vue de pérenniser une identité noire forte et émancipée. Une émancipation tant souhaitée que beaucoup de ses acteurs iront, parfois de manière très violente, refuser qu’un africain, noir, puisse s’identifier à l’islam, religion de l’Arabe anciennement esclavagiste lui aussi, plus qu’à sa couleur de peau.

Rarement mise en avant, l’histoire de l’islamisation de l’Afrique (noire), d’Est en Ouest, est extrêmement riche en évènements et anecdotes, mouvements et dates charnières. Elle compta, comme l’Arabie, la Turquie, l’Espagne andalouse ou le Maghreb, largement mis en avant lorsqu’il s’agit de vanter la richesse du patrimoine islamique, elle aussi, parmi les plus pieux des dirigeants, les plus courageux des combattants et les plus ascètes parmi les savants.

 

 

Sources et informations complémentaires :

http://www.soninkara.com/societe/religion/lislam-et-les-voies-de-sa-diffusion-au-mali-du-viiieme-au-xvieme-siecle.html

http://www.islamreligion.com/articles/304/spread-of-islam-in-west-africa-part-1/