Au sein des prisons israéliennes, « une torture psychologique permanente »

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À l’instar de 1 500 prisonniers palestiniens le mois dernier, Salah Hamouri avait cessé de s’alimenter en 2011. Cet ex-détenu témoigne sur ses conditions de détention, qui l’avaient poussé à cette ultime forme de contestation.

« Psychologiquement, c’est beaucoup trop pour un seul homme », résume Salah Hamouri au sujet de son emprisonnement. Incarcéré dans les prisons israéliennes de 2005 à décembre 2011, ce Franco-Palestinien ne connaît que trop bien les conditions de détention que dénonçait une grande partie de la population palestinienne le mois dernier. Pendant 41 jours, près de 1 500 prisonniers ont fait la grève de la faim, afin de forcer une évolution de leur situation carcérale et d’alerter une nouvelle fois la communauté internationale sur les traitements infligés aux détenus palestiniens en Israël. Un mouvement lancé par Marwan Barghouti, un leader régulièrement désigné par ses défenseurs comme le « Mandela palestinien ». Pour L’Orient-Le Jour, Salah Hamouri revient sur ses années passées en prison, et détaille les circonstances pénitentiaires qui l’avaient, lui aussi, poussé à une grève de la faim en 2011.

Arrêté au check-point de Qalqiliya il y a maintenant douze ans, Salah Hamouri décrit son début de détention comme un déchaînement de « torture psychologique permanent ». « Tout a commencé quand ils m’ont demandé de sortir de ma voiture, m’ont menotté en me mettant un chiffon blanc sur les yeux et m’ont mis à terre pendant près d’une heure et demie, le temps que l’armée vienne me chercher », raconte le jeune homme. De là, il est transféré dans un centre d’arrestation, où il est alors interrogé pendant près de 56 jours. Placé à l’isolement dans une cellule de 2 mètres de large pour 3 mètres de long, Salah Hamouri n’a, durant cette période, aucun droit de visite, ni de la Croix-Rouge ni même de son avocat.

La même chose, donc, ou presque. Car le droit à la défense ne semble pas être une priorité dans la « seule démocratie au Moyen-Orient ». Au terme des trois mois passés dans ce premier centre de détention, le jeune homme est transféré dans la prison de Beer Sheva, où il restera sans jugement pendant près de trois ans. Au cours de cette période, les avocats sont autorisés à rendre visite aux prisonniers, sous réserve que la prison où ils se trouvent ne soit pas trop éloignée. « Quand on est détenu à Beer Sheva, on est à l’autre bout du monde, alors les avocats n’y viennent pas souvent », explique M. Hamouri, avant d’ajouter : « La défense dépend de la localisation de la prison. »

« Bus de torture »
En avril 2008, il est finalement condamné à sept ans d’emprisonnement. Deux chefs d’accusation sont à l’époque retenus contre lui : appartenance au Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) et intention de participer à l’assassinat du rabin Ovadia Yosef.

Au cours de ces années d’incarcération, l’ancien prisonnier passera par une dizaine de centres pénitentiaires différents. Pour lui, les conditions des transferts qui entrecoupent ces réintégrations visent à humilier un peu plus encore les prisonniers. « En Israël, on est transféré dans des bus de torture : les sièges, le toit, le sol, tout est en métal ; ce qui veut dire que l’été comme l’hiver, la température est insupportable », explique-t-il. Salah raconte que les prisonniers peuvent passer plus de dix heures enfermés dans ces convois, sans même pouvoir assouvir leurs besoins primaires.

Tout ce qui se passe au sein des prisons israéliennes vise alors à faire ressentir aux prisonniers qu’« ils ne sont plus de ce monde », selon ce Franco-Palestinien. Si Salah Hamouri n’a pas subi de torture physique lors de son incarcération, l’atteinte à la dignité des prisonniers passe, pour lui, par d’autres biais. « Quand on est en prison, le plus dur est de garder le moral et de faire fonctionner l’esprit », explique-t-il. Il pointe dès lors l’importance primordiale des visites et de l’accès aux livres pour pouvoir tenir ce combat permanent. Deux droits, qui ont été largement réduits au cours des dernières années, et pour lesquels les prisonniers palestiniens se battaient encore la semaine passée.

« Leur but, c’est de nous couper de tout contact avec l’extérieur », estime-t-il. Avant l’accord conclu vendredi dernier entre l’administration pénitentiaire et les représentants des prisonniers, ces derniers ne pouvaient voir leur famille proche qu’une seule fois par mois, pour une durée de 45 minutes maximum. Si les autorités israéliennes assurent n’avoir fait aucune concession, des responsables palestiniens ont assuré avoir obtenu, via l’accord de vendredi dernier, un allongement des temps de visite, une seconde visite mensuelle et des engagements sur la climatisation et surpopulation.

Évoquant le droit à l’éducation, Salah Hamouri affirme que s’il y a bien un système de cours au sein des prisons, « c’est les prisonniers eux-mêmes qui le développent ». Le Franco-Palestinien s’était ainsi improvisé professeur de français, notamment auprès de Marwan Barghouti, alors que les deux hommes étaient incarcérés dans la même prison. Face à ces conditions, les détenus avaient lancé une grève de la faim en 2011, à laquelle l’ex-détenu avait alors participé. Une contestation toujours difficile à mener, alors que le gouvernement israélien use de toutes les manœuvres pour étouffer le mouvement.

Barbecue devant les grévistes
« Quand tu es en grève, ils font tout pour briser ta volonté », explique Salah Hamouri. Si la contestation ne dure à cette époque que 13 jours, interrompue par une libération de masse, cet ex-détenu retrouve aujourd’hui les mêmes pratiques israéliennes qu’il a autrefois subies pour casser le mouvement. « Ils transfèrent sans arrêt les grévistes pour les affaiblir et distribuent des tracts dans les cellules, où il est écrit qu’on va rapidement mourir, sinon devenir aveugle, ou perdre nos cheveux », explique-t-il. M. Hamouri ajoute que les militaires israéliens avaient également organisé à l’époque un barbecue devant les prisonniers en grève de la faim. Une pratique reproduite cette année.

Libéré en décembre 2011, Salah Hamouri s’installe alors à Jérusalem-Est, où il continue de vivre aujourd’hui. Pour lui, le dernier mouvement de grève apparaît comme une « réussite totale ». « Ce mouvement a enfin remis les revendications sur la table des négociateurs » affirme-t-il, avec l’espoir que la communauté internationale ne fermera plus les yeux sur ces réalités, qui durent depuis maintenant plus d’un demi-siècle.