Comment le Maghreb devient-il “colonies françaises” ?

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Abdelkrim al Khattabi, résistant marocain, capturé en 1926.

Algérie :

Le point de départ est 1830 : ce qui devait être une réponse au Bey d’Alger, coupable selon le pouvoir français de l’époque du “coup de l’éventail” envers l’un de ses ambassadeurs, se transforme plus ou moins rapidement en une conquête coloniale d’ampleur. Les causes de la conquête sont surtout liées au développement économique français, à la concurrence avec les autres puissances coloniales, à l’affirmation de l’Europe sur le plan politique et militaire à l’échelle du monde. L’Algérie est conquise en 27 ans ! (1830-1857) L’Emir Abdelkader est le grand artisan de la lutte anticoloniale (dont il ne comprend pas les véritables enjeux au départ), mais il n’est pas le seul : Ahmed Bey, à l’est, bey ottoman de Constantine poursuit la lutte dans tout l’Est algérien. Ou encore Lalla N’Soumer en Kabylie dont l’échec face aux Français marque la fin officielle de la conquête. Le Sahara n’est pas encore concerné, et les révoltes se multiplient durant toute la période coloniale. La plus célèbre fut celle de Mokrani dans le Constantinois en 1871, suite aux spoliations de terres aux profits des colons. L’Algérie a perdue un tiers de sa population durant la conquête, le système scolaire (constitué de madrasas) est détruit, les épidémies et la famine font des ravages (les années 1867-1868 sont très meurtrières). Contrairement à ses deux voisins, l’Algérie est une colonie de peuplement, elle s’intègre au cours du XIXème siècle selon le modèle d’assimilation “forcée” à la française : dès 1848 (donc très tôt) le pays est divisé en 3 départements sur le modèle métropolitain.

Tunisie :

Au cours du XIXème siècle, les Français contraignent le pouvoir tunisien (lui aussi dirigé par des beys ottomans jusqu’en 1956) à s’aligner sur la politique coloniale française et menaçant le pays d’une annexion pure et simple sur le modèle algérien. En 1881, la France utilise un faux prétexte selon lequel des tribus tunisiennes s’infiltrent en Algérie pour y mettre le désordre, la mise en place d’un protectorat français en Tunisie est ainsi justifié : le Traité du Bardo est signé. A vrai dire, il y a des raisons plus profondes, les puissances coloniales se partagent l’Afrique en 1878 au Congrès de Berlin assurant à la France une main mise sur la Tunisie, dans un contexte où la IIIème République française sort d’une défaite douloureuse face à l’Allemagne. En outre, l’unification italienne fait craindre à la France des réclamations coloniales de ces derniers sur la Tunisie. Déjà, au cours des années 1860, le pays était entre les mains de mandataires européens chargés de contrôler les finances. Envahie par les troupes de la République (environ 30 000 hommes), les villes du sud et côtières sont bombardées, la résistance bédouine est matée, puis les Français soumettent le beylika de Tunis dirigé par Sadok Bey. La Tunisie devient un protectorat français : c’est à dire que le pouvoir des beys tunisiens est maintenu sur un plan symbolique et diplomatique mais toutes les fonctions clés de l’Etat sont entre les mains de la France : surtout l’économie et l’armée.

Maroc :

Ce modèle du protectorat fut réutilisé au Maroc qui devint colonie française en 1912. Il fut colonisé par deux Etats : l’Espagne et la France. Ceci entraîna deux crises entre la France et l’Allemagne, cette dernière s’estimant perdante dans l’histoire. En 1905, éclate la “crise de Tanger” dans laquelle l’empereur Guillaume II d’Allemagne débarque à Tanger afin de prononcer un discours, où il critique sévèrement la main mise de la France sur le Maroc. Au cours de l’année 1906, les deux pays européens se mettent d’accord sur un partage du territoire marocain à la conférence d’Algésiras : le nord revient à l’Espagne, le centre et le sud du pays reviennent à la France. Les Etats-Unis ou le Royaume-Uni appuient cet accord contrairement aux espérances allemandes.
Mais c’est pas fini… En 1911, l’Allemagne envoie des navires de guerre à Agadir (pour officiellement venir en aide à ses ressortissants installés au Maroc), une nouvelle crise éclate. En réalité, les Allemands redoutent une colonisation concrète de la France. Le sultan marocain de l’époque fait appel aux troupes françaises pour écraser des révoltes dans tout le pays. Dans un contexte extrêmement tendu, ces derniers lancent les négociations avec l’Allemagne : ils abandonnent une partie des territoires coloniaux d’Afrique centrale au profit d’un “Cameroun allemand”. En échange, l’Allemagne laisse le Maroc à la France, l’Espagne garde ses possessions dans le Rif. C’est la naissance du Traité de Fès en 1912, et donc, du protectorat marocain. Cependant il fallut attendre 1934 pour que le Maroc soit totalement conquis ! (Cf : Résistance d’Abdelkrim al Khattabi dans les années 1920).