La stupéfiante liste d’exigences que l’Arabie saoudite, les Emirats, le Bahreïn et l’Egypte adressent au Qatar pour lever le blocus

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Vendredi 23 juin, Riyad, Abou Dhabi, Manama et Le Caire ont adressé via le Koweït une surprenante liste de doléances au Qatar dans le but de mettre fin à la crise. Composé de treize points, le texte qui fait figure de demande de capitulation à l’adresse de Doha risque d’envenimer un climat régional de plus en plus critique.

Dans l’ordre, cette liste exige du Qatar les mesures suivantes :

1) La rupture de toute coopération militaire et sécuritaire avec l’Iran en abaissant le niveau des relations et en fermant la représentation diplomatique de Téhéran à Doha.

2) La fermeture immédiate de la base militaire turque en cours de construction et l’arrêt de la coopération militaire avec la Turquie.

3) L’interruption de tout lien avec les organisations terroristes, en particulier les Frères musulmans, l’Etat islamique, le Front de la conquête du Levant (ex-al-Nosra) et le Hezbollah. Ce point reprend naturellement l’accusation, largement fantaisiste et non étayée, d’un soutien direct du Qatar aux organisations radicales qui sèment le chaos au Moyen-Orient.

4) La fin du financement d’individus, groupes ou organisations désignés comme terroristes par l’Arabie saoudite, les Emirats, l’Égypte, le Bahreïn, ou les États-Unis. Derrière cette formulation, c’est clairement le Hamas (considéré comme terroriste par les différents pays mentionnés) qui est ciblé.

5) Remettre les « personnalités terroristes » installées au Qatar et recherchées comme telles par les autorités de l’Arabie saoudite et ses alliés. Entrent dans cette description des personnalités comme le cheikh Youssouf al-Qaradawi puisqu’il figure parmi la récente liste des 59 personnalités terroristes dressée par Riyad et Abou Dhabi.

6) Fermer la chaîne Al Jazeera et toutes les filiales qui lui sont liées.

7) Mettre fin aux ingérences de Doha dans les affaires intérieures des pays de la région.

8) Le Qatar devra payer des réparations en guise de dédommagements à ses voisins pour la nocivité de la politique suivie ces dernières années.

9) Le Qatar devra s’aligner sur les autres pays du Golfe pour la conduite de ses politiques au niveau militaire, social et économique.

10) Le Qatar devra remettre toutes les informations sur les membres de l’opposition qu’il a pu héberger par le passé et l’arrêt de tout contact avec les opposants des régimes des quatre pays mentionnés.

11) Fermer tous les médias que le pays a pu directement ou indirectement fonder comme les sites Arabi21, Al Araby al-Jadeed, Rassd, Mekameleen ou Middle East Eye. Ces sites sont hébergés en Turquie ou basés à Londres.

12) Satisfaire aux exigences de cette liste dans un délai de 10 jours.

13) Le Qatar devra consentir à un audit mensuel pour s’assurer de la mise en place effective de ces mesures au cours de la première année suivant l’approbation de l’accord.

Une volonté de mise sous tutelle d’un autre âge

Ce cahier de doléances frappe par sa longueur et la gravité des concessions qui sont attendues du petit émirat. Il est en effet à peu près certain que les autorités du Qatar ne satisferont à aucune de ces exigences pour au moins deux raisons. D’abord, parce que cela placerait le pays de facto sous ingérence étrangère alors que le Qatar assure depuis le départ qu’il ne saurait brader sa souveraineté. Mais aussi, car céder sur ces points serait synonyme de défaite humiliante et de renoncement pour un régime qui a construit son agenda politique et son rayonnement international sur des acteurs et réalisations (comme Al Jazeera) qui font partie intégrante de son identité nationale.

Sur le volet géopolitique, la charge des quatre pays est de nature à crisper davantage l’administration américaine. Si le président Donal Trump semble encore acquis aux thèses saoudo-émiriennes, c’est l’inverse qui prévaut au sein du ministère des Affaires étrangères et du Pentagone. Il y a quelques jours, le département d’Etat affirmait dans une déclaration être « consternée » de la position adoptée par les Etats auteurs du blocus contre le Qatar en les appelant à dresser une liste « raisonnable » de griefs à adresser. Malgré cette remontrance américaine qui espérait une retenue, force est de constater que l’intransigeance saoudo-émirienne n’a pas faibli d’un pouce. Cette posture annonce un durcissement des positions et l’inscription dans le temps d’une crise qui commence à peser sur les économies nationales.

La charge contre la Turquie

De même, la mention d’une réduction drastique du niveau des relations avec l’Iran peut prêter à sourire quand on sait que le pays du Golfe qui entretient les relations commerciales les plus importantes avec Téhéran est la fédération des Emirats arabes unis. Mais outre cette incohérence, c’est surtout la dénonciation de la base militaire turque qui doit être considérée comme un signal illustrant la fuite en avant d’Etats qui prennent le risque d’internationaliser la crise à leurs dépens. Car si la cible au départ était le Qatar, le fait d’exiger d’Ankara de rapatrier ses soldats a été ressenti en Turquie comme un véritable affront. Le ministre turc des Affaires étrangères ne s’y est pas trompé en exprimant un cinglant veto et en rappelant que pareille requête est constitutive d’une ingérence inacceptable dans les affaires internes d’un Etat. Signe des temps, cette déclaration arrive le lendemain de l’arrivée du deuxième contingent des forces armées turques au Qatar dans le cadre de la mise en application de l’accord de défense signé en décembre 2014 et confirmé par le parlement d’Ankara au début du mois.

Une montée des tensions jusqu’à quand ?

Il est encore trop tôt pour prédire quelle serait l’étape d’après, mais ce qui est certain est que le jusqu’au boutisme saoudo-émirien ne semble faire aucun cas des appels au calme et au dialogue. L’inquiétude dans les opinions de la région est palpable et beaucoup s’interrogent sur la manière de revenir un jour à la table des négociations. Un point de non retour semble avoir été atteint et ce n’est pas la nomination du nouveau prince héritier en Arabie saoudite qui est de nature à apaiser les esprits. Jeune et inexpérimenté, décrit comme impulsif et imprudent, Mohamed ben Salman qui a été propulsé hier à la tête de l’Etat est loin de souscrire à l’idée d’une désescalade. Aidé par l’homme fort des Emirats arabes unis, Mohamed ben Zayed dont l’aversion pour Doha tourne à l’obsession et pouvant compter sur l’appareil d’Etat israélien dont les relais puissants à Washington célèbrent sa nouvelle doctrine, Mohamed ben Salman ambitionne de restaurer le leadership régional saoudien avec comme premier acte la mise au pas du Qatar.

De son côté, Doha multiplie les manœuvres militaires avec ses partenaires pour rassurer sa population. En plus de l’arrivée des soldats turcs et de l’achat des avions de combat F-15 américains, les autorités ont largement médiatisé les manœuvres militaires opérées ces derniers jours avec la marine française et américaine. Destinées à montrer que le Qatar garde fermement ses frontières grâce à un puissant réseau d’alliances, ces démonstrations de force ont été doublées par un activisme diplomatique tous azimuts du ministre des Affaires étrangères. Parallèlement, le petit émirat mène une offensive sur le front des droits de l’homme et de la légalité internationale afin de multiplier les plaintes contre les auteurs du blocus et traduire ses instigateurs devant les juridictions internationales.