Selon l’ONG Human Rights Watch, les autorités enregistrent les données biologiques de la totalité des habitants.
C’est un épisode qui semble sorti tout droit d’un film de science-fiction des années 70. Depuis un an, les autorités chinoises ont mis en place un programme nommé «des examens médicaux pour tous» dans la province reculée du Xinjiang. Mais selon l’ONG Human Rights Watch, qui s’est procuré les «consignes pour l’enregistrement et une vérification précise de la population», des échantillons ADN et sanguins, le scan de l’iris et les empreintes digitales semblent être enregistrés sans l’accord des patients.
Région désertique de l’extrême ouest de la Chine, située à 3000 kilomètres de Pékin, le Xinjiang est habité par 10 millions de Ouïghours, des musulmans turcophones, et autant de Chinois Han installés par le pouvoir depuis deux décennies. Au prétexte d’une réelle menace terroriste (plusieurs attentats ont été commis ces dernières années, et des dizaines de Ouïghours avaient rejoint les rangs d’Al-Qaeda ou de l’Etat islamique en Syrie), le Parti communiste chinois a transformé la province en laboratoire sécuritaire et ses habitants, en très grande majorité pacifistes et sans vélléité indépendantiste, en cobayes d’un néototalitarisme.
Les documents analysés par Human Rights Watch cette semaine donnent pour consigne de «vérifier le nombre exact de la population du Xinjiang, et de rassembler des informations biométriques multiples sur les personnes âgées de 12 à 65 ans». Dans le cas des citoyens «personnellement ciblés», ce qui peut signifier n’importe qui accusé d’un comportement «suspect» aux yeux des autorités, l’information doit être collectée sans restriction d’âge. Les autorités demandent à la police et aux comités locaux du Parti communiste de «protéger les droits de la population, de les guider dans la coopération», et de s’assurer que les informations soient collectées «pour tout le monde, dans chaque maison, dans chaque village du Xinjiang, et que nul ne manque».
Aucune mention de l’accord des habitants n’apparaît. Selon les témoignages recueillis par l’ONG, les habitants seraient fermement incités à se présenter aux visites médicales, pourtant présentées comme une démarche volontaire. La Chine est donc en train de collecter des informations ultrasensibles sur des millions de citoyens qui n’ont aucun lien avec une entreprise criminelle ou terroriste. Les autorités sont aidées par deux entreprises américaines, Thermo Fisher Scientific, qui procure l’équipement pour le séquençage des ADN, et la sulfureuse société de sécurité privée Blackwater, qui entraîne les agents de sécurité dans cette région au sous-sol riche en réserves pétrolières.
Ces dernières consignes ne sont pas limitées aux musulmans, mais elles viennent s’ajouter à une longue liste de limitations des libertés et de persécutions qui les vise directement. La pratique de la religion est désormais considérée comme une «menace pour la sécurité», et de nombreuses mosquées ont été détruites. On peut se faire arrêter parce que l’on porte une «barbe anormale» ou qu’on a écrit «halal» sur sa devanture, que l’on a «refusé de suivre les programmes officiels de radio ou de télévision» ou que l’on a donné à son bébé un prénom musulman interdit, comme Mohamed ou Arafat. Depuis octobre 2016, Chen Quanguo, nouveau secrétaire régional du Parti communiste, perfectionne dans le désert du Taklamakan sa méthode de «gestion sociale par le quadrillage» qu’il a mise au point sur les hauts plateaux du Tibet. Des milliers de postes de police ont été installés dans les villes, des barrages de police équipés de scanners 3D se sont multipliés sur les routes, la 4G a été supprimée, le GPS rendu obligatoire et une vaste campagne de délation rémunérée a été lancée par les autorités.
Aussi extrêmes qu’elles soient au Xinjiang, ces mesures humiliantes et liberticides s’inscrivent dans la ligne générale du Parti communiste chinois, qui prône depuis toujours le contrôle et la répression sur l’ensemble de la population. Elles rejoignent aussi l’obsession sécuritaire de Xi Jinping, qui vient d’être reconduit pour cinq ans à la tête du pays. A sa prise de fonctions, Chen Quanguo avait confisqué les passeports des 20 millions d’habitants de la province. Pour déposer une nouvelle demande, il fallait accepter de livrer ses données biométriques. Désormais, la collecte est passée au stade industriel.